Il y a longtemps que je me disais que le Mur de séparation israélo-palestinien incarnait la fracture béante, la fin du dialogue entre l’Orient et l’Occident, et que son démantèlement, qui succéderait à une résolution du conflit, réglerait une partie des problèmes du monde ou qui, à tout le moins, en apaiserait de grands axes de tensions. C’était là une pensée, malheureusement, investie d’espoirs vains.
Fasciné par le sujet, j’assistai en 2011 à un premier colloque international sur les murs de séparation étatiques à l’UQÀM, sous la direction d’Élisabeth Vallet, directrice scientifique de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.
Je retenais de ce colloque ce fait historique majeur: depuis la chute du Mur de Berlin en 1989, jamais autant de nouveaux murs ne furent construits dans toute l’histoire de l’humanité. Au moment du colloque, on parlait d’une cinquantaine de murs disséminés de par le monde.
Les années 1990, post Guerre froide, ont vu croître les phénomènes de la globalisation et de l’ouverture des marchés, laissant croire que l’emmurement et le cloisonnement des esprits étaient des phénomènes du passé.
Les événements de Septembre 2001 sont venus perturber le cours de l’Histoire et ont déclenché un spectre complexe d’exactions définissant un nouvel ordre mondial de repli sur soi.
Depuis, tout autant que le monde se globalise, il se referme sur lui-même.
Conceptuellement, je fus fasciné par ce paradoxe et décidai de débuter ce projet sur les murs, qui allait devenir LES MURS DU DÉSORDRE, vaste chantier interdisciplinaire regroupant les disciplines du cinéma documentaire, de la peinture, de l’installation vidéo et de la recherche en géopolitique.
En novembre 2013, avec le support de SPIRA, je me suis rendu une première fois en Israël/Palestine afin de tourner nos premières images en compagnie de Catherine Benoit, qui allait devenir une collaboratrice essentielle au projet, en tant que productrice, mais dont l’implication toucha plusieurs aspects majeurs, de la logistique aux apports artistiques et critiques. Je réalisai sur place que la fracture était beaucoup plus complexe qu’imaginée et que le mur physique n’était en fait qu’un symbole visuel des murs mentaux, bien plus fort que ces dalles de béton scarifiant le paysage.
De retour au Québec, j’approchai Élisabeth Vallet afin de lui proposer de participer à ce projet sur les murs. Dans un souci d’affinités électives, je voulais m’aligner sur le haut niveau de leurs recherches sur le sujet. Je leur demandai: quel est l’état des murs étatiques aujourd’hui? Sur quelles problématiques travaillez-vous? Leur réponse : les murs ne fonctionnent pas pour les raisons selon lesquelles ils ont été bâtis.
Frimes, théâtres politiques, mascarades visuelles visant à apaiser les esprits obtus, les murs alimentent des politiques intérieures xénophobes, bien plus qu’ils ne résolvent de prétendus problèmes.
Associés aux chercheurs Josselyn Guillarmou et Zoé Barry, nous définîmes un plan de travail visant à contextualiser et à problématiser ces murs.
Ne pouvant évidemment pas nous rendre sur le terrain de tous les murs, nous nous sommes attaqués au sujet en tentant de cibler lesquels murs pourraient symboliser et rassembler l’ensemble des problématiques de tous les murs du monde : terrorisme, trafics humains, contrebande (drogues, pétrole, armes, etc), inégalités économiques et sociales, flux migratoires, conflits inter-religieux et territoriaux.
Je ciblai ainsi le mur israélo-palestinien, le mur de sécurité à la frontière des États-Unis et du Mexique, de même que ces grands oubliés des murs étatiques, les mals nommés Peacelines d’Irlande du Nord. En effet, j’émets le postulat que ceux-ci, bien que n’étant pas situés directement sur une frontière, incarnent néanmoins une problématique de frontière intérieure, que les négociations du Brexit sont venues directement raviver.
De 2013 à 2017, nous nous rendîmes plusieurs fois sur le théâtre de ces murs, tournant du matériel visuel qui allait se décliner en courts métrages sous la forme de webdocumentaire, installations vidéo, tableaux et recherche en géopolitique.
Entre 2011 et 2019, le monde entier n’a cessé de se reclure, des Orients, aux Europes et dans les Amériques, sous l’égide de politiques malmenant la définition de la démocratie.
Et pour ma part, une immense responsabilité ressentie en tant qu’artiste et citoyen du monde à participer au concert critique face aux murs étatiques.
Car désormais, ils sont plus de 70 à dévisager notre planète.